Assemblée Nationale, le mercredi 14 octobre 2009.
M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.
Mme Martine Billard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, le redécoupage était obligatoire, c’est indéniable. Toutefois, on peut imaginer que, lorsqu’il s’agit de redéfinir les règles de l’élection des représentants du peuple, on le fasse au nom du respect, à la fois, de la démocratie, de la pluralité politique du pays et de l’équilibre politique des forces qui participent au jeu démocratique. Or le moins qu’on puisse dire est que le résultat qui nous est proposé est bien loin de respecter ces règles, alors même que le scrutin uninominal présente déjà par lui-même de nombreux inconvénients, que plusieurs orateurs ont évoqués avant moi.
En effet, ce type de scrutin, non content de déformer la représentation politique du pays, favorise les notables lorsque s’y ajoute le cumul des mandats, à savoir les hommes de plus de cinquante ans appartenant aux catégories sociales supérieures.
La représentation politique n’est donc pas à l’image du pays : c’est flagrant notamment en ce qui concerne les femmes, puisque seulement 18,5 % de femmes siègent à l’Assemblée nationale. Le fait qu’il s’agisse d’un record depuis la Libération ne fait que confirmer que l’évolution est très lente et que de nombreuses décennies seront encore nécessaires pour atteindre, un jour, la parité. Dois-je rappeler que la France est l’un des derniers pays de l’Union européenne en matière de représentation des femmes ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez argué que les femmes avaient le droit de se présenter partout : c’est encore heureux ! Il serait inouï que les textes prévoient le contraire. Je vous rappelle toutefois que votre parti, l’UMP, a dû payer une amende de 4 millions d’euros en 2007 du fait qu’il n’avait pas présenté un nombre suffisant de femmes : 153 pour 435 hommes.
Je le répète : le scrutin uninominal déforme la représentation du peuple français, ce qui n’est pas sans conséquence sur la démocratie. Faut-il rappeler que, lors de la révision constitutionnelle, loin de modifier ce mode de scrutin, vous avez refusé l’instauration du scrutin proportionnel, lequel est pratiqué dans quasiment tous les pays, à l’exception de la France et de la Grande-Bretagne ? Je laisse donc de côté le débat portant sur la dose de proportionnelle ou sur la présence ou non d’un seuil puisque, de toute façon, nous en restons au système des circonscriptions.
Monsieur le rapporteur, vous avez affirmé hier que le redécoupage repose sur des critères démographiques, strictement démographiques. M. Ciotti, s’exprimant au nom de l’UMP sur ce texte, a évoqué, de son côté, les critères d’objectivité du texte et le fait que le secrétaire d’État a fait preuve de sincérité dans son redécoupage. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de me montrer quelque peu désagréable, au travers d’un exemple qui est en complète contradiction avec de telles affirmations : non, vous n’avez pas été sincère ; non, le texte ne repose pas sur des critères démographiques objectifs !
On aurait pu, en effet, raisonnablement penser que, comme Paris n’est pas pourvu de cantons, c’est sur des bases démographiques que s’y opérerait un redécoupage qui entraîne la disparition de trois circonscriptions. Or un élu de l’UMP, maire du premier arrondissement de Paris et candidat malheureux aux élections législatives de 2002 et de 2007, a expliqué, en avril dernier, la façon dont, à ses yeux, le redécoupage à Paris devait être pensé ; ses propos ont été repris dans une dépêche de l’AFP. Selon lui, « la première circonscription de Paris », qui regroupe les quatre premiers arrondissements, « exploserait. Dans son contour actuel elle est irrécupérable pour la droite ». Monsieur le secrétaire d’État, le fait qu’une circonscription soit irrécupérable pour la droite entre-t-il dans les critères démographiques reposant sur des principes d’objectivité et de sincérité ? Dix circonscriptions étaient plus petites que la première circonscription de Paris. Du reste, le problème n’est pas la première circonscription de Paris, mais la conception qui préside au redécoupage de Paris.
Le fait qu’un responsable de l’UMP explique qu’une circonscription doit disparaître parce que l’UMP ne peut pas la reprendre révèle la façon dont ce redécoupage a été globalement pensé. C’est pourquoi je regrette que la commission Guéna n’ait pas accepté de recevoir les représentants des forces politiques, parce qu’il aurait été intéressant de lui expliquer sur quel principe reposait ce redécoupage. Quelle n’aurait pas été sa surprise !
M. François Asensi a cité des redécoupages de circonscriptions qui suivent les voies ferrées. Il faut espérer que la SNCF n’en ferme pas d’ici là, car le redécoupage perdrait en compréhension. À Paris, le redécoupage suit les rues et il faut savoir qu il reposait auparavant sur le principe hélicoïdal de l’escargot. Un tel principe avait sa cohérence. Malheureusement, c’est le n’importe quoi qui préside au prochain redécoupage, puisque celui-ci ne révèle, d’un bout à l’autre de la capitale, aucune continuité. Désormais, trois circonscriptions couvriront trois à quatre arrondissements alors que c’était auparavant le cas d’une seule en raison de la faiblesse démographique des arrondissements concernés.
Monsieur le secrétaire d’État, à l’instar d’un grand nombre de députés de l’UMP, et de quelques-uns de gauche, vous justifiez le cumul des mandats en invoquant la nécessité de l’ancrage territorial pour faire un bon député. Il ne doit donc y avoir que de mauvais députés dans les pays étrangers, où on ne pratique pas le cumul comme en France ! Je pense que lorsqu’on se présente devant des électeurs, la moindre des choses, une fois élue, c’est d’accomplir le mieux possible son mandat, donc d’y consacrer tout son temps. Nous sommes du reste correctement rémunérés à cette fin.
Monsieur le secrétaire d’État, si l’implantation territoriale est nécessaire, les circonscriptions doivent avoir une continuité territoriale correspondant à un minimum de cohérence. Or tel n’est pas le cas puisque le redécoupage que vous effectuez dans de nombreux départements comme à Paris est de moins en moins cohérent sur le plan territorial. Vous ne pouvez donc pas, à la fois, justifier le cumul par la nécessité de l’ancrage territorial et casser, dans de nombreux cas, ce même ancrage.
Je le répète : si, comme vous l’avez affirmé dans cet hémicycle, nous sommes les députés de la nation et si notre mission est de défendre l’intérêt général – c’est effectivement ce que je pense et je suis prête à vous rejoindre sur ce point -, alors, peu importe la circonscription et nous ne devons pas accepter le cumul.
Surtout, monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez pas, à la fois, soutenir que nous sommes les députés de la nation et vous opposer au scrutin proportionnel. En effet, les députés de la nation doivent représenter la pluralité politique du pays, ce qu’interdisent de faire le mode de scrutin uninominal, le cumul des mandats et, désormais, votre redécoupage, qui renforcera le bipartisme, comme le renforcera également la modification du mode de scrutin à laquelle vous procéderez pour les élections territoriales.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les critiques que je tenais à formuler à propos de votre modèle de redécoupage, qui ne respecte pas le modèle républicain, ce que nous regrettons. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
texte publié sur le site du parti de gauche