Jean-Luc Mélenchon, fâché tout rouge
C’est un peu de l’histoire du PS des années 1980 qui s’en va avec le départ de Jean-Luc Mélenchon. Le trublion, l’ex-héraut de la Gauche socialiste, a encore une fois rué dans les brancards. Celui dont on a tant de fois entendu les coups de gueule contre ce “parti de notables” et ses “dérives droitières”, qui ne manquait pas une occasion de dire qu’il n’était pas de ces “premiers de la classe” qui composaient la direction du PS, ni de souligner leur “coupure avec le peuple de gauche”. Lui, il en venait du peuple.
PARCOURS
1951 Naissance à Tanger (Maroc).
1974 Naissance de sa fille.
1977 Adhésion au Parti socialiste dans le Jura.
2000 Devient ministre délégué à l’enseignement professionnel.
2004 Annonce qu’il fera campagne pour le non à la Constitution européenne.
2008 Après le vote des militants en faveur de Mme Royal, annonce qu’il quitte le PS.
Il parle peu de Tanger, de cette enfance gaie au Maroc. Fils d’un pied-noir télégraphiste et d’une mère institutrice, il se souvient de son départ du pays en 1962. Sa faille fondatrice. “Un arrachement à des odeurs, à des paysages, une cohue” qui le mena à Yvetot, dans le pays de Caux. Et au collège privé d’Elbeuf, où le jeune rapatrié de 11 ans s’est vu traiter comme un paria. “J’ai commencé à grandir en comprenant que la politique, c’était tragique” raconte-t-il. De ces jours, il garde une volonté, celle de rester maitre de soi. “Je suis un pied-noir qui rentre dans sa case où il y a de la douceur mais qui met son armure quand il ouvre sa porte.” La posture deviendra une habitude militante chez lui.
Il a commencé jeune en politique. D’abord à 20 ans, chez les trotskistes tendance Lambert, l’Organisation communiste internationaliste (OCI). Mais il n’y aime pas la discipline trop militaire. Il frappe alors à la porte de la permanence du PS de Lons-le-Saunier (Jura). L’étudiant en philosophie, qui travaille comme correcteur pour payer ses études et nourrir sa petite famille, raconte au responsable de la section son histoire de militant aguerri à l’extrême gauche. L’autre l’écoute à peine et lui dit simplement : “Prends le papier”, le bulletin d’adhésion. On avait besoin de bras dans cette fédération ouvrière et cela suffisait à cet intello bosseur.
Le jeune militant prend vite des responsabilités et se fait repérer à 27 ans par Claude Germont, maire de Massy, qui en fait son directeur de cabinet. Il ne bougera plus de l’Essonne et collectionnera les mandats : conseiller municipal, conseiller général, adjoint au maire et enfin sénateur en 1986. Il l’est encore, jusqu’en 2010.
De ses trente années socialistes, il reste sans rancoeur, gardant des mots affectueux pour François Mitterrand – “Il faisait l’histoire et j’ai appris comme un fou en le regardant faire” – ou Lionel Jospin. Le gauchiste a été un mitterrandiste convaincu et un soutien sans faille au gouvernement Jospin, au grand dam alors de ses amis de la Gauche socialiste. Le cabotin était devenu ministre de l’enseignement professionnel et voulait marquer son passage à l’éducation nationale. Il y réussira en laissant une réforme des CAP, la création de la validation des acquis de l’expérience ou du lycée des métiers.
Mais il ne veut plus de cette “structure inhumaine” qu’est le PS, où les plans de carrière comptent plus que les amitiés. Jean-Luc Mélenchon est un affectif, malheureux dans un PS où la camaraderie n’est plus de mise. “C’est un homme de polémique, cultivé, qui ne supporte pas l’indifférence vis-à-vis des idées. Comme un cuisinier qui passe trois heures à mijoter un plat que ses invités engloutissent sans mot dire”, glisse Laurence Rossignol, porte-parole de Martine Aubry. “C’était inscrit. Jean-Luc a constaté qu’il n’avait plus sa place. Mais il n’en a pas plus à gauche du PS où trône Besancenot” prévient François Hollande. Lui pourtant y croit.
Jusqu’à ce jeudi 6 novembre, où il a annoncé son départ après les résultats du vote donnant la motion de Ségolène Royal en tête, peu de monde croyait à ses intentions de partir. La preuve, on avait vu, une fois encore, “Méluche”, comme l’appellent ses camarades, se battre derrière Benoît Hamon et Henri Emmanuelli, jurer que rien n’était perdu, du moment que Ségolène Royal ne l’emportait pas. Il avait beau s’y être préparé, avoir discuté âprement avec ses troupes de sa sortie, le sénateur de l’Essonne a accusé le coup. Une vidéo diffusée sur Teletoc.net le saisit cette nuit du vote des militants socialistes : “Pour moi, ça suffit comme ça. Je tourne la page”, lance un Mélenchon à la mine défaite. L’oeil bleu qui d’habitude s’anime quand il évoque ses combats, reste las.
Il avait pourtant tenté de changer le cours interne des débats. Depuis un certain 11 décembre 2004, où le PS adoptait majoritairement le oui à la Constitution européenne, la cassure était béante. L’opposant avait annoncé qu’il voterait non et ferait campagne publiquement en ce sens. Et il s’était senti revivre. Enfin, il pouvait montrer de quoi il est capable, lui que son parti à toujours confiné dans le rôle de l’opposant qu’on aime bien mais qu’on n’écoute guère.
Il avait enchaîné les meetings aux côtés de Marie-George Buffet, de José Bové et autres ténors du non de gauche et avec ses accents jauressiens, un rien décalé à côté de ses camarades, il faisait mouche. Un socialiste, un vrai, venu en renfort de la gauche radicale, “ça crédibilisait tout d’un coup la campagne, et le public affluait”, se souvient Eric Coquerel, animateur du petit groupe républicain Mars.
Mélenchon y prend un plaisir évident. “Il découvre une autre famille, chez qui il est très applaudi, alors que la sienne ne l’aime plus”, remarque son ancien ami et allié, le député de l’Essonne Julien Dray. “Il a retrouvé l’enthousiasme militant. Ça l’a changé”, insiste son bras droit, François Delapierre. A la Fête de L’Humanité en 2006, en regardant ses camarades d’estrade venus d’horizons divers, Jean-Luc Mélenchon ose même cette sortie : “On va bien ensemble… On ferait une belle direction d’un parti.” L’idée de fonder un “parti de la gauche” a déjà germé dans sa tête. Comme l’a fait son ami Oskar Lafontaine en Allemagne, avec Die Linke.
Un parti où il sentirait à nouveau une envie. Plus un PS qui, selon lui, suit une “dérive sociale-libérale”, où il a connu ses plus grands moments de solitude. Comme lors de la présidentielle, où il n’avait pu faire campagne, sidéré par les discours de Ségolène Royal sur les centres fermés, la suspension des allocations familiales pour les parents défaillants ou encore son slogan étendard de l’ordre juste.
La rhétorique socialiste était décidément trop loin de celle qui l’avait fait adhérer en 1977. A 57 ans, Mélenchon est décidé à la retrouver avec son ami Marc Dolez, député du Nord. Mais dehors. Et quand on l’interroge pour savoir s’il n’a pas peur de finir isolé comme Jean-Pierre Chevènement, il répond : “Je crée un parti, pas une assurance-vie.”
Sylvia Zappi